Recueil

Sous le ciel

En couverture, une peinture d’Eric Garnier-Audebourg
C’était un temps resserré,
un temps lourd et opaque,
les poèmes attendaient,
morts de faim,
respirant à peine 
sous l’usure des jours,
ils attendaient que l’esclave se réveille,
le doux rêveur
mais il n’y avait qu’un être épuisé,
accoudé à sa table,
incapable de penser,
qui ressentait, ressentait,
toute la mélancolie des fleuves,
et qui ne disait plus de poèmes qu’en souriant,
d’un clignement de l’ oeil,
qui renvoyait à la vieillesse,
à l’enfance,
au cercueil qui enfin se referme,
où tout est calme,
où les fleurs au jardin sont fraîches
comme un coup de cymbales,
à présent il fallait lire les rides comme un alphabet précieux,
et rien n’était idiot comme tant de gens pouvaient le croire ;
parfois le diseur prenait doucement des mots dans sa bouche
comme s’il avait fait rouler des perles,
il crachait ses petits oracles,
il mâchait, mâchait son herbe verte,
ivre comme un âne,
et les poèmes revenaient,
lavés de la fatigue et de l’oubli,
ils reprenaient leur place dans son gosier,
mais il connaissait leur jeu dérisoire,
il pouvait braire ou pleurer à la place,
ou chercher,
chercher encore à les ramener plus près des larmes.

Sur le pont disloqué des nuages
un homme me parle,
sa voix sonore est celle d’un pêcheur,
la fin de ses mots s’installe dans les assauts du vent.
où vas-tu, me dit-il, où vas-tu ?
sa parole appuyée sur la tempe du ciel.

Je veux répondre
mais une douleur usée m'étouffe
je veux répondre
mais une vague rapide rince mes yeux.

Et je vois disparaître dans la plaie d’un oracle,
dans sa béance bleue,
une longue caravelle de brume en ses voiles,
qui transportait mes doutes et que je vois sombrer.

Alors dans ce pays où marchent les colombes,
je cherche un coin tiède,
l’aisselle blonde d’une place,
la fine poussière,
comme un encens
pour me recueillir,
immobile,
dans le carrousel,
le grand tourbillon,
du pollen et de la lumière.

Une main sur le rideau léger
quelqu’un guette le ciel depuis si longtemps.
Un jour sa main sera transparente
Les nuages passeront au-dessus.

Tiré par les cheveux de sa mémoire
Il aura déjà tant voyagé
tant dérivé,
sommeillé dans le feu et dans la nacre,
embrasé, et puis refroidi,
glissant comme d’autres,
dans les paysages de l’entre deux,
dans les brouillards incertains,
si nécessaires aux éclosions de l’esprit,
à sa lente, traînante volonté,
sourde à l’archet de son regard
vibrant dans les flux de l’azur,  
et qui faisait jaillir tant de sons accordés,
gouttelettes roses qui filaient


comme une pluie d’été
dans sa gorge ensablée de rêveur
dont la soif toujours le devançait.

Il aura ouvert et fermé sa fenêtre
à tant de lunes,
à tant de lunes aux cuisses veloutées
qui enjambaient sa croisée
et l’emportaient loin de sa chambre
aux angles effacés.

Et le soleil aura tourné
lui aussi,
et mordu sa peau
en suivant son cruel protocole,
le même que pour ses pères
connaissant de mémoire son visage
et les plis de son corps.

Et il aura tellement baigné les aubes
de ses yeux,
les lavant,
s’y lavant,
avec le pain de la douceur,
accroché à cette toile
depuis les présages du soir,
comme l’Amant aux voiles de l’Aimée.

Et franchi malgré tant de livres,
(les murailles dressées de ses livres)
tous les dangers des crépuscules,
toutes ces flamboyances d’agonie
qui le ramenaient à lui-même,
que son enfance finalement,
aura survécu 
dans le faible bruissement de ses paupières

26.09

Juste ce retrait de la lumière
à peine hissée sur la façade
jaune pollen
et bleu intense
bientôt réfugiée sur les toits
résolue à se fondre
à disparaître
dans la nuit chaude de septembre
dans la douceur d’un abandon
qui gagne au loin la plage
se répand sur le souffle immense
bientôt les vagues plongeront dans l’obscur
de cet instant
nul ne parle
mon aile froissée prend le vent
humant les indices fragiles
de ce ciel d’encre qui avance
comme un amant sûr de son fait
s’avance vers son rendez-vous
chaque seconde qui bascule
me parle plus que de raison
dans le sablier tout s’inverse
les grains noirs charrient des lueurs
je resterai à ma fenêtre
à guetter ces retours sans nom.

Souvent tu veux me perdre
et disparais
mais je te vois encore,
dans ces feuillages
que je croise près des gares,
bordant les cafés anonymes,
ou plantés là,
aux carrefours,
dans ces feuillages,
dans ces mains de feuillages,
ténues,
vivantes,
déployées,
se balançant dans l’invisible,
s’étirant par brèves secousses,
jusqu’à la finesse des ombres,
jusqu’au bleu impossible de l’été
comme un haussement d’épaule,
comme un sourire déposé
dans la matière vagabonde,
amoureuse du vent.

De l’opacité des racines
monte un désir
et c’est déjà la feuille qui se déploie
encore étranglée et lutteuse
dans son corset gluant
et qui salue son père le ciel
de ses doigts monstrueux
qui renferment pourtant la perfection
du palmier
du vitrail
la divine inflexion de la courbe
le rire discret des clochettes
et ces ramilles bleues
si fluides
qui danseront bientôt dans la lumière.

Cette monture a des jambes d’orgueil
et l’orgueil galope
et secoue sa crinière
dans les flots du soleil.

Bête obstinée forçant la nuit
jusqu’à la trame des prières
dans le silence paralysé des rêves
dans les plis de la volupté

dans tous ses plis
ses linges amers
ombre qui brûle
dans nos ténèbres
jamais sa course ne s’arrête.

C’est une forme vague
pourtant
qui presse son allure
la pointe d’une ombre incertaine
son cou se tend
gonflé de rumeurs vertes
cherchant une direction
des perles vives
faites de larmes
coulent sans cesse
comme des étoiles dispersées
le long de ses mèches en désordre
mais on entend
que son galop.

Comment je vais ?
Je ne sais pas,
la menthe sèche et ne sait pas
pourquoi je vais
pour qui
pourquoi ?

Et le soleil au genou clair
se baigne nu
en plein hiver
dans l’eau douteuse des verrières.

Le métro file comme un chien
je ris de le voir détaler
et tous mes cheveux volent
au loin
derrière ce moi qui ne dit rien.

Ce n’était rien qu’un peu de sable
des pages raides
saisies de vent

la douceur d’un soleil acide
l’herbe nouvelle
sourdement

et des journaux
aux palissades
de vieux papiers
se débattant
sous des rafales de lumière

un terrain vague
et son printemps

Et puis
la lumière,
trouble,
indécise,
capable d’éblouir toutefois,
plus peut-être
que le soleil
à son zénith,

efficacité des mélanges,
ombre et lumière sont emmêlés,
même trame et même texture,

le ciel n’est qu’un
cœur noir
sous une chemise,
la nuit se répand doucement
mouillant la toile,
la toile diurne,
qui se couche faute de vent.

Grattement sur le zinc
fer mouillé,
agacé,
pas griffés,
agacés,
roucoulés.

Le gel dans la gouttière,
main de riz
aux pigeons.

Le ciel
jaune et opaque
tendu d’effort
jette sa peur légère
sur les toits
et les gens.

Blancheur
glissante
huilant la ville.

Tableau noir
où le signe
ne s’inscrit pas
mais coule
et se répand
maussade.

Petites sœurs nocturnes
colliers de larmes tièdes
coulant sur vos mains nues
la nuit est de métal
et tranche vos désirs

au pays des tramways
vos bouches sont légères
vos chagrins roulent droit
sur vos lignes de vie

le silence alentour
parfum de rouille morte
la poutrelle d’acier
hésite et se résous

Petites
vous avez la rosée
une fleur étincelle
à donner le vertige
c’est le diamant bouclé
qui brille sur vos seins
déchirez donc la nuit
de sa pointe acérée

Rescousse
soleil attendu
escale
les draps salés
la mer étale

femme oblique
mouillée
lourde
de songes verts

bouche tendue
chair et syllabe

corail séché
d’un fond de sable
saignant aux crochets de lumière

Bruit fou
marelle
eau
sel
éclats
je cours
tu bouges
regarde-moi
lâche l’ourlet des préjudices
ma robe
est un filet déjà

Glisser dans le sommeil par hasard
comme une poignée de sable
échappée d'une main distraite

répandre sa pensée
l'écouler
incertaine
dans la buée des rêves
y mélanger les fluides
laisser les particules
bleuir et s'attirer
dans un jeu de vertige
où la vitesse frôle
des gestes de lenteur
où sont tirées des larmes
où se rouvrent des plaies
qui vacillent
en secret
dans une pièce obscure
où un seul cri de joie
tranche la nuit
qui palpite
ouverte
de tous ses grains ardents
comme ce fruit
de la lointaine Espagne
qui ruisselle à jamais sur nos lèvres
et apprendre de cette ivresse
que le plaisir léger nous dépasse
et jamais ne nous appartient
qu'il danse quand nous dormons
et rêve quand nous vivons.
A peine traversés
par le pas des lueurs
et nous fuyons au loin
de peur
d'être aveuglés
par les traces des songes
nos ombres imprimées
lancées sur la blancheur
comme on jette les dés.

Sa joue posée sur la nuit
elle rêve en fumant,
la fenêtre n’est pas assez grande
pour le faible éclat des étoiles,
la chaleur importe peu,
au contraire,
sa peau est nue,
offerte à la caresse obscure,

tendue vers l’ailleurs :
déjà détachée du bruissement tenace
de ses pensées,
elle s’éloigne à pleins poumons
vers le refuge immense du ciel,
quelque chose déjà fait route vers ses mains fraîches,
le message d’un fin rouleau de pourpre
refermé comme une paupière
et ce grand manteau de noirceur
qu’elle attendait pour son repos.

Soudain ce soir
dans le ciel qui enfle
dans le ciel enroulé
jusqu’au coude de l’obscur
dans les taches d’ombre des mondes inconnus
flotte et grandit
la nonchalance d’un gant de pluie.

Là-bas,
marchant
sur l’illusion brillante
d’un trottoir
quelqu’un ne baisse pas la tête
solidaire des régions célestes.

Nous nous croisons en grande estime
nos âmes se frôlent et glissent
comme des vagues jumelles
ami, je sais que tu pleures
mon silence salue ton silence.

Là-haut, ne sens–tu pas les tuiles
et comme la terre qui nous abrite
voudrait s’ouvrir à cette eau bienfaisante
mais reste accrochée sur les toits ?
Son désir hante nos demeures.

Et voilà que la nuit t’étrille
ses doigts d’ogresse sont glacés
tu cherches dans un royaume humide
le cri que je pousse du pied.

Mais dans l’eau
dans les traits que font l’eau
se glisse l’espace des pensées
et sous la pluie
sous les écailles de pluie
gonflent des larmes pures
et le feu de la mer
volé
volant
jamais éteint
du plus haut au plus bas
nous brûle.

Là-bas
il soulève les vagues
d’un désir éternel et changeant

ici et maintenant
berger des spirales du ciel
il déchire la toile immobile
posée au-dessus des maisons
et voici la chair de ton âme
qui va glissant

tu longes les rues de ta ville
tu fuis le manteau de ce fou
qui vole dans ta gorge vide
avec ce goût d’écume
qui neige sur ta bouche
et qui te fait trembler

alors tu cours et tu t’écoules comme le sable
dans le gant du soir
laissant derrière toi dans les ombres rouges
des chevaux de mer et des coquilles vides
et tous ces fossiles sans importance
qui tombent en grêle légère
sur l’ironie des trottoirs

C’était une grande faim de silence
une grande faim

que cette pesanteur cesse
que vienne ce léger tremblement
de l’être
cette lointaine vibration

que ses veines frémissent
les plus fines
les plus secrètes

mais d’abord quitter
ce grand poids
laisser glisser
toute douleur
laisser le feu
brûler ses plaies
laisser le feu
brûler la cendre
dans le tourbillon
des pensées

rester tranquille
enfin
ne pas bouger
comme un cheval
à qui l’on ôte
une à une
les pièces de sa soumission
comme lui rester impassible
savourer ce nouvel état
en savourer chaque seconde
et s’éloigner à petits trot
à longues foulées désinvoltes
laisser dans l’oubli
son fardeau.
Ce corps
où tu t’engageais toute
gonflant ta voile
n’est plus
à la place demeure une pensée
la même depuis l’enfance
et peut-être au-delà

et tant de vagues
déjà se sont croisées
tant de vagues
et tant de murmures
que tu dois perdre pour
gagner

tes yeux
tes filets
te ramènent
chaque jour
le nécessaire
ce presque rien
qui te fait vivre
voilà ton bien
et ta richesse
et toi seule démêle les fils

ton repos est dans l’air qui tremble
dans un appel, un bruissement
dans une empreinte de colombe,
dans les grands arbres sous le vent

tu prends le pouls de la lumière
au chevet de l’aube
tu pries
tu verses l’encre de la nuit

NUAGES

Hier,
malgré la pluie glaciale
demeurait
à l’arrière d’un couvercle gris,
des châteaux boursouflés,
extravagants,
ouverts,
à l’adresse de ceux qui lèveraient la tête.
ils auraient là leur récompense,
geste d’hommage à leur orgueil,
à leur manteau de plaies ouvertes
traînant superbe derrière eux.
Refuge immense
vagues si lourdes,
pourtant légères
dérivant à l’ombre des jours,
on écrit des royaumes instables
pour tous ceux qui fixent le ciel.
Hommes debout
regard aigu de javelot,
jeté au centre des grisailles
lancé dans les couches moelleuses
les plis glissants des forteresses
suites de restes,
couleurs éparses
disparaissant
sous la paupière
dans l’œil immense de la nuit.

Corbières

Quel étrange ciel vivant où stagnent parfois
infusant leurs rêves
de sournoises énergies blanches !
Brumes et enchantements
qui subjuguent l’esprit
et tirent les membres jusqu’à l’inerte.
Soudain ce même ciel vous enlève
et vous jette d’un coup d’archet
sur la croupe d’un vent agile
qui vous entraîne dans sa turbulence liquide,
bouillonnante,
où sont lancées les couleurs
comme sur la palette d’un peintre impatient.
Et vous voilà captif d’un vertige,
comme un papillon épinglé,
immobile et nerveux
comme ces masses vertes mordant le rouge
de mondes froissés.
Pages d’un livre immense qui tourne,
de fins vaisseaux cinglent sur l’arc des nuages.
Les flancs de la lumière ressemblent
à des traces essuyées,
à des baisers humides et hasardeux.
Quelque chose au bord de vos yeux
cherche cette transparence.
Et vous levez encore la tête
vers la piste des anges,
pour sentir leurs sourires secoués sur vous
comme une pluie d’automne,
ample douceur dans la gravité
d’un temps qui s’achève.

Printemps

Le front d’un lys
perce la terre
la force de ses cheveux tendres
casse les mottes desséchées
un rayon vert est son effort
et sa naissance devinée.
C’est mon printemps
un printemps dur
le temps qui me reste est compté
je nais caillou
cousu de givre
et n’obéis qu’à la lumière
partout ailleurs trop de grimaces
la pluie divine est un message
ses perles fondent à mes paupières
je veux sourire
surtout sourire
le soleil nu dans le fossé
juste un instant
un bref instant
déplace le ciel ébréché

En train

Ma terre glisse
tire mes yeux,
ma terre,
ma désirée,
s’éloigne,
elle file,
verte de vignes,
verte d’épines,
rouge d’argile et de cailloux,
elle file et passe,
laissant les flambeaux des cyprès
happer mes ombres,
leurs flammes sèches
me rappeler mes vrais tourments,
j’ai tant besoin de leur rigueur,
mais ils passent,
ils appareillent
dans les fastes d’un ciel vivant,
me laissant à mon vertige,
éblouie,
je cherche leur odeur
comme le ventre d’une âme éparse,
la vitesse me trahit,
elle m’emporte,
dans ce train clos,
ce sarcophage,
où j’étouffe,
où j’enrage de m’éloigner
vers des terres fades,
qui ne me griffent pas au visage,
qui ne me cinglent pas de leur beauté ardente,
où le vent ne me dépouille pas de l’inutile,
où le vent est un jardin entretenu,
un animal de compagnie,
mais jamais une licorne,
un cheval audacieux,
un frère en solitude,
et qui jamais ne fait venir
comme une eau bienfaisante,
l’abandon des prières,
les larmes douces,
le fluide amer des poèmes.

Toi qui dormais sur ma cambrure,
ô toi mon âme,
souviens toi,
nous marchions dans les rues de cette ville du sud,
tu t’étirais souveraine dans l’excès de mes talons
balançant avec moi l’équipage
des hanches et de la taille
et nous allions ensemble
dans l’ivresse du sel qui pendait des balcons.

La mer était là,
dans les voiles du linge,
blanche et molle de nostalgie,
dans un rêve immobile
qui gonflait de rumeurs,
et puis elle s’enroulait aux épingles du ciel,
sur le grand horizon
elle tordait ses clameurs
et sa colère humide nous poursuivait dans les ruelles.

Tu m’entraînais,
chevauchant ma vigueur,
mes jambes dures
dans leurs gousses de soie.
Tu étais la musique sortie des pierres,
les cris rauques des hommes et leurs murmures,
tu étais le tourment qui me faisait tenir si droite.

Comme en dansant,
j’allais vers des musiques incertaines,
n’accrochant rien,
prisonnière d’une main d’écume
qui tirait mes cheveux,
d’un souffle qui savait mon nom.

La nuit posée,
si transparente,
les étoiles menues commençaient à parler,
d’une impasse
un vieux mur,
du fond de ses ténèbres ardentes,
jeta sur nous un filet de piments,
le vert à l’orange attaché
capturant tout.

Le vent,
dans le silence,
dans les mailles luisantes
soulevait la couleur,
la beauté comestible
des flammes ruisselantes
qui bougeaient sur ce mur
et nous faisait trembler.


Longtemps,
j’ai guetté au bord des vignes,
foulant la terre lumineuse,
où dormaient des morceaux de cuivre,
éclairant le ciel en attente

un vent glacé,
limpide,
de transparence extrême,
mordait ma solitude,

alors,
j’aimais l’iris dressé
le vainqueur insolent
d’un dur berceau de givre

alors
j’espérais que voltigent
d’arbre en arbre,
comme en rêve,
des signes brefs,
blancheurs lointaines,
mousseux appels,
cailloux suaves
jetés aux branches

alors,
dans le bouillonnement rapide des nuages,
je cherchais des morceaux ébréchés et vivants,
qui s’entrouvraient,
se refermaient,
sur des flots souples et fugitifs,
versant de l’or sur ces chemins,
gardés par les cyprès arides,

aujourd’hui,
penchée sur la terre rouge,
un amandier en plein cœur,
je bois le tiède soleil de l’hiver,
sève douce,
poisseuse espérance
avant les spasmes du printemps,
et j’offre mes yeux
à la brume qui s’élève,
aux fluides palpitations,
je suis entre le ciel et l’ocre,
le vent me fait frémir,
et je danse invisible dans un jardin
m’élevant dans la fumée qui brûle
quelques herbes.





Derrière le toit,
dépassant à peine,
des bras de feuillages agités
et toujours cet appel,
au bout de la gare suspendue,
la masse confuse des arbres
travaillés par le vent.

J’avance dans la solitude des mirages
traçant ma route
jusqu’à cette lumière grise,
incertaine
qui appuie sa douceur
au-dessus du fracas,
sa couronne flottante
cherche un roi,
un enfant, un vieillard
perdu dans le tumulte.

Je cherche en vain la danse,
le bruissement infime
des feuilles prisonnières,
à jamais invisibles,
plus cachées que l’écorce
sous le gris de l’hiver,
plus effacées qu’un signe
sur le flanc d’un lointain,

parce que je me souviens
des lents balancements
de l’ombre en fleur,
l’été
qui me faisait cortège,
des ciels pensifs,
griffés
sans fin de lignes noires
qui se mêlaient au givre,
des bourgeons de l’enfance
éclatant à leur tour
plus gros que des chagrins,
je cherche mon asile
le simple véhicule
d’une page où rester,
une bûche immobile
au cuivre qui s’élance
et déploie ses nageoires
dans l’eau de mes pensées.


Pour t’aimer sans t’aimer
je marche
sur des clous de velours
mon pas est plus léger
qu’un souffle retenu

blessure transparente
desséchée par le vent
le silence s’écoule de mille plaies ouvertes

une louve apparaît
flairant ce sang amer
j’admire ses yeux jaunes
sa féroce bonté
plonge dans ma raison

elle voit mes pieds meurtris
posés sur un frisson
mes pieds blancs et intacts
chaussés par la douleur
qui ne peuvent s’enfuir
qui ne peuvent courir
et me montre la route
la route qui est mienne
d’épines et de cailloux
et que je dois rejoindre
pour t’aimer sans t’aimer

Les 100 chiots de ma mémoire
jappent et bondissent,
leurs griffes neuves trouent ma vie.

Des places et des jardins s’élèvent
emportant les visages aimés,
l’invisible fumée entraîne
le flot dévêtu des pensées?

Et ce navire par où va-t-il ?
ses traits de blancheur sur l’écume
soulèvent des commencements
mais au ralenti tout s’efface
la lumière fait un geste vague
on ne distingue plus le port
ni l’arrivée
ni le départ
le silence est une vitesse
que chaque mot pourrait briser
la coque roule
roule muette
avance sur son bois léger
on m’a fait présent de récifs
de pointes vives qui fascinent
que le regard peut aiguiser
il me faut naviguer chaque heure
c’est un effort
une exigence
surtout ne pas se retourner
dans mon dos des statues de sel
restent figées
de faibles douleurs allongées
pourraient renaître et m’emporter.
Pourtant des fleurs
simples et robustes
m’assurent qu’il n’y a nul danger
éclatantes dans le malheur
dans le ventre du temps passé
leurs voix criardes sont des soleils
où je voudrais me réchauffer
simple frisson
brûlant d’été
posé sur la cime des heures
ou dans un linge velouté 
du grain humide
de la lune
m’envelopper
dans les ténèbres et la lenteur 
tout oublier

Avant

C’était il y a longtemps
trois lunes ornaient le front du ciel
la terre ouverte respirait
de l’œuf sortait le lézard à six gemmes brillant comme la nuit.
De l’œuf sortait la neige primordiale
le gel immaculé fleurant bon le caprice.
Des poches bleues du matin naissait tout ce qui tourne et gire
l’esprit des feuilles et l’air de feu.

Nous marchions nus et souples sous nos lunes
ces ballons des marais 
que nous brisions du pied.

Clarté multiple
lagune riche de sel
nous allions comme vont les chevaux sauvages
talonnés par l’écume.

Sans fin les vagues assiégeaient nos chevilles
sans fin les vagues travaillaient le silence
le fracassant par jets de sable
le dilatant aux limites du monde
depuis les profondes ténèbres
jusqu’au prisme éclaté d’une aube juteuse
glissant entre nos doigts.

Devant nous l’océan mettait des couronnes
tourbillons, algues scintillantes
poudres d’or dans l’eau noire
comme autant d’étoiles marines 
qu’au ciel
de lumières tournoyantes.


Nous étions libres
vêtus de nos cheveux lustrés comme les plumes
des oiseaux pêcheurs
assoiffés de marches et de sources offertes
nous avancions dans le déploiement de nos feux sur la plage
grandes roues
panache de gaieté violente
faim d la chair noircissant sur la braise
coquillages laissés comme des offrandes près 
du bois calciné.


Et nous marchions toujours
d’autres naissaient en route
fils du ressac, nés de la même vague
conçus dans un même souffle
ils buvaient un lait d’amertume
et leur père le soleil
les voyant accrochés au dos des guerriers
dans un panier de jonc
les brûlait de ses ailes fécondes
et bientôt ils s’échappaient comme un fin gravier
comme des poissons hors de leur nasse.

Ils nous rejoignaient
nageant et marchant près du ventre de leur mère
suivant la caravane immense
grains de sable odorants sur la peau du monde
leurs rires étaient notre musique
et nous marchions toujours.

Nue sans toi,
vulnérable,
je croyais tout connaître
mais je m’enfonçais jusqu’aux genoux
dans le varech du ciel
remuant mes joies,
j’habitais dans les flammes de châteaux éblouis
mais je n’avais pas de demeure
et le bleu m’était interdit.
Je me glissais au crépuscule
dans le cortège des nuages,
progressant au hasard des couleurs
de leurs traces liquides,
éventails déployés
qui m’entraînaient sans fin
jusqu’au plateau d’un théâtre immobile
qui sombrait lentement
tel un ancien navire
laissant choir ses répliques,
ainsi se perdaient de nobles tragédies.
Mais la noirceur,
si nonchalante,
gagnée par un poinçon de lune
et la piqûre brillante d’une étoile
était ma délivrance.
Comme un plongeur
je quittais ces régions célestes
pour me perdre en moi-même
et goûter à l’oubli.
Mais chaque jour ma nudité m’apparaissait plus sûre,
aucune main de terre ne venait me couvrir.
La pesanteur se vivait au-dessus,
le silence était mon habitude
les nuages glissaient,
loin de mon centre
et de tes vagues

j’attendais.

Glisser dans le sommeil par hasard
Comme une poignée de sable
échappée d’une main distraite


répandre sa pensée
l’écouler
incertaine
dans la buée des rêves
y mélanger les fluides
laisser les particules
bleuir et s’attirer
dans un jeu de vertige
où la vitesse frôle
des gestes de lenteur
où sont tirées des larmes
où se rouvrent des plaies
qui vacillent
en secret
dans une pièce obscure
où un seul cri de joie
tranche la nuit
qui palpite
ouverte
de tous ses grains ardents
comme ce fruit de la lointaine Espagne
qui ruisselle à jamais sur nos lèvres
et apprendre de cette ivresse
que le plaisir léger nous dépasse
et jamais ne nous appartient
qu’il danse quand nous dormons
et rêve quand nous vivons.
A peine traversés par le pas des lueurs
emportant la beauté
et nous fuyons au loin
de peur
d’être aveuglés
par la trace des songes
nos ombres imprimées
lancées sur la blancheur
comme on jette les dés

Le vent
si vert
et sidéral
d’outre les nuages froissés
m’emportera dans son Oural
où la Grande Ourse
est un cheval
cheval de bois
qui se voit mal